Bibliothèque de documents mis à votre disposition par « La Costelle »

Écoutez causer patois !

Pour lire des textes rédigés en patois local, reportez-vous aux textes suivants de Eugène Mathis.


Voici, lu par André Touchet (grand merci à lui), le début de la fiauve (compte en patois) Èbrahhe è Schmalich ci-dessous, extraite de Fiauves et Contes du Pays Vosgien de Eugène Mathis.

Patois : Èbrachhe è Schmâlich Français : Effervescence à Schmalick*
    Ce feut l'énâie où qu'il n'y ot tant de naje. Lis gens de Schmâlich feunnent trâs mous sna joï de rechhi. Passèz comme ils iant éfautris de novalles et comme ils sauteunnent su lè premère qui coreut lè besse. Et ce ne feut mi enne moinre comme vos allèz wer.
    Do quand lè naje fondeut, elle decoicheut au bord d'ïn haut chemi, enne si drôle de bête que lo premè que lè voyeut coreut è levant lis brès dener l'élarme da lo vilège.
    Lis mohos se veudeunnent et tôt lo monde coreut po lè wer. Stadoûie su lo voizo, elle ne boujit pus, rade qu'elle ir pa lè jalâie. Elle n'avout prèque poit de tête, mais dis counes dèhe fous pus grandes que çalles d'ïn bu de haps. In corps strât, mais enne quoue que n'è hotait pus et qu'elle levai tôt drâte, lè wète bête ! Dis arailles ou dis ales — a ne pait mi dite — aussi lajes qu'enne foneure et que relihan comme fî bettu. Et, lo pè de tout ïn couté, zos lè quoue! Elle n'avout que dus pettes, mais rades comme lo rècbhe aussi grousses qu'ïn chéviro et tonaies dwa lé tête comme si elle avout haï è reculo telle enne grabousse. Quique chose d'acru ïn monstre, je vos dis !
    Ils iant tortus è viser çu que ça pait bïn ête. Lis pus vis awant bî schmiquèr dis prises, ils ne pant se reboter avou j ma vu telle bête ni én'oï pâler mi pus. Et a n'è féït dis suppositios !
    — Elle è dis counes ! si ç'ir lo diale ?
    — C'a bïn lo diale, portant, si lo diale se seraut lèchhi éjalèr.
    — N'éprechi mi si près ; a ne put co mi dire si elle a cravâie tôt è fait.
    — Il faut lè conjuri !
    — Il faut lè dekabrér !
    Lo mate d'école consulté, se grottait lè pouïatte.
    — Je n'ai, qu'il deheut, mi knachhance d'ïn tel animal viquant. A n'è pâle même mi das l'Apocalypse. Ça démèje que je n'ai mi lo lahi de n'aller lè wer. Mais d'éprès votis dires, ce ne seraut ête qu'enne bête de devant lo déluge et que lis hautes oves ot decoichi. Si elle è di grandes counes, c'a bïn sûr ïn cocuosaure. Alors ils n ïn rin è doter; il a cravé enda bonne pèce.
    Lè novalle feut tôt knouïe.
    — In cocuosaure ! c'a ïn cocuosaure : enne bête que viquait do ta de Noé el que bïn sûr, ne pôt atrèr da l'arche. In cocuosaure è Schmâlich, quelle effaire ! Ce que lis Girauhmés vot n'avou lè chhaupou !
    Ils iant co tortus è l'éronde j'mâ resseuvis de spi, quand ils voyeunent veni ïn Orbelet évo ïn chvau. I l'étleut dan lè bête et s'épratait è l'émenèr.
    — Erètèz, qu'ils li deheunnent, Qu'ost-ce que vos fèï.» ?
    — Eh bïn què ? c'a lè mînne et je vins lè qwère. Je lè léchheu tola au voyi, ne pant n'aller pu lan è cause dis najes L'hevi, pa chance, ne li è mi fait trop de mau.
    — Mais vos ne knachhis do mi lè bête-là ? C'a ïn cocuosaure !
    L'Orbelet, lis oïant, devieut dis ceux comme dis qwèles, pis, tôt d'ïn cô compeurnant, se boteut è rire, è rire et è se stoude au poit que lis botos de sis beurtelles sauteunnent su lo ebemi. Quund enfi il pôt s'è ra'vou, il lis deheut :
    — Bêtes et cocuosaures vos-mêmes ! Vos n'ô do j'mâ vu enne charoue ?
    — Ma fou no ! »
    Si l'aute-là vos senne rade, c'a preuve que çu qu'a vrai n'è mi tocou l'air.
    Ce fut l'année où il y eut tant de neige. Les gens de Schmâlich furent trois mois sans pouvoir sortir. Pensez comme ils étaient sevrés de nouvelles et comme ils sautèrent sur la première qui courut la vallée. Et ce ne fut pas une moindre, comme vous allez voir.
    Donc, lorsque la neige fondit, elle découvrit au bord d'un liant chemin, une si drôle de bêle, que le premier qui la vit courut eu levant les bras donner l'alarme dans le village.
    Les maisons se vidèrent et tout le monde courut pour la voir. Étendue sur le gazon, elle ne bougeait plus, raidie qu'elle était par la gelée. Elle n'avait presque point de tête, mais des cornes dix fois plus longues que celles d'un bœuf de plaine. Un corps étroit, mais une queue qui n'en finissait plus et qu'elle levait toute droite, la sale bête ! Des oreilles ou des ailes — on ne pouvait pas dire — aussi hautes et aussi larges qu'une pelle à enfourner et qui reluisaient comme fer battu. Et, le pire de tout, un couteau sous la queue ! Elle n'avait que deux pattes, mais raides comme le reste, aussi grosses qu'un chevron, et tournées vers la tête comme si elle avait marché à reculons telle une écrevisse. Quelque chose d'affreux, un monstre vous dis-je !
    Ils étaient tous à viser ce que cela pouvait bien être. Les plus vieux avaient beau renifler des prises, ils ne pouvaient se remettre avoir jamais vu telle bête ni eu avoir ouï parler pas plus. Et on en faisait des suppositions !
    — Elle a des cornes ! si c'était le diable ?
    — C'est bien le diable, pourtant, si le diable se serait laissé geler.
    — N'approchez pas si près ; on ne peut pas encore dire si elle est crevée tout à fait.
    — Il faut la conjurer !
    — Il faut la débarrasser !
    Le maître d'école consulté se grattait la nuque.
    — Je n'ai, dit-il, pas connaissance d'un tel animal vivant. Ou n'en parle même pas dans l'Apocalypse. C'est dommage que je n'ai pas le loisir d'aller la voir. Mais, d'après vos dires, ce ne saurait être qu'une bêle d'avant le déluge et que les hautes eaux ont découverte. Si elle a de si longues cornes, c'est certainement un cocuosaure. Alors il n'y a rien à craindre, il est crevé depuis longtemps »
    La nouvelle fut tôt connue. Un cocuosaure ! c'est un cocuosaure ! une bête qui vivait du temps de Noé et qui, sans doute, n'a pu entrer dans l'arche. Un cocuosaure à Schmalick, quelle affaire ! Ce que les gens de Gérardmer vont être contrariés !
    Ils étaient encore tous autour, jamais assouvis de regarder, quand ils virent venir un Orbelet (habitant d'Orbey, Alsace), avec un cheval. Il l'attela devant la bête et se disposait à l'emmener.
    — Arrêtez ! lui dirent-ils. Que faites-vous ?
    — Eh bien quoi ? c'est la mienne et je viens la chercher. Je la laissai là à l'automne, ne pouvant aller plus loin à cause des neiges. L'hiver, par chance, ne lui a pas fait trop de mal.
    — Mais, vous ne connaissez donc pas cette bête là ? C'est un cocuosaure ! »
    L'Orbelet les entendant, ouvrit des yeux comme des écuelles, puis, comprenant tout à coup, se mit a rire, à rire et à se tordre au point que les boutons de ses bretelles sautèrent sur le chemin.
    Quand enfin il put se remettre, il leur dit :
    — Bêtes et cocuosaures vous-mêmes ! Vous n'avez donc jamais vu une charrue ? »
    — Ma foi non ! »
    Si celle-là vous semble raide, c'est preuve que ce qui est vrai n'en a pas toujours l'air.

* : Schmalick est un écart du Grand Valtin, sur la départementale 23, proche du col du Surceneux.

Je veux compléter / corriger cette page par courriel
© La Costelle. Dernière mise à jour le 04/02/2018 à 09:31 
Logo de la Société Philomatique des Vosges Logo de la Fédération des Sociétés Savantes des Vosges
▲     Retour haut de page     ▲